16 octobre 2007

Chapitre 1

Cela faisait un mois que la fête avait commencé et elle s’étendait à travers toutes les rues de la ville. Sous la fenêtre de ma chambre une enceinte géante hurlait de la techno et une bonne centaine de personnes dansait devant elle avec des mouvements saccadés. Ils étaient tous au moins saoul, au pire au bord de l’overdose. Cela ne choquait plus personnes désormais, pas même les personnes âgées, elles faisaient partie du lot.
Sur le tapis de ma chambre un ami à moi dormait, recroquevillé en position fœtale. Je l’enviais à mourir, je n’avais pas fermé l’œil depuis quatre jours et j’étais écœurée par la drogue que j’avais ingurgitée pour tenir. La fin du monde était pour dans quelques heures. Je voulais la mourir de façon convenable. C’était d’ors et déjà un rêve inaccessible. Quelqu’un fit éruption dans la pièce, un homme d’une trentaine d’année, les cheveux hirsutes et les yeux cernés. Sur son tee-shirt une tâche étrange s’étendait du col au nombril, je ne savais dire s’il s’était vomi sur lui-même ou s’il s’était badigeonné de pâté pour chien... Les deux me paraissaient plausibles...
Il me regarda puis fit le tour de la pièce avant de s’emparer de la télécommande de mon lecteur DVD. Il la caressa quelques secondes puis reparti d’où il été venu sans un mot, avec l’objet dans les mains. Ma seule pensée concerna la frustration future de l’homme lorsqu’il se rendrait compte que le bouton pause ne fonctionnait plus.
Je me levais et tentais de réveiller Thomas en lui donnant des coups de pieds. Il ne les sentit même pas ou du moins ne fit pas mine de bouger pour me prouver qu’il était encore en vie. Je pris alors un stylo et écrivis sur un post-it que je lui collais sur la tête : « Je veux porter mon tee-shirt des Stones pour mourir, je vais au Lavomatic pour le laver, je reviens. Romane ».
J’eu une pulsion que je ne pus retenir, certainement la drogue, et dessinais sur sa joue quelque chose qui ressemblait vaguement à un castor, lorsque l’on plissait les yeux, puis je sortis en laissant la porte ouverte, au cas où l’homme viendrait chercher le reste du lecteur.
Je descendis au pas de course l’escalier de l’immeuble dans lequel j’avais ma chambre d’étudiante. Appellation que l’on avait gardée pour une simple tranche d’âge bien qu’il n’y ait plus la moindre personne prête à perdre des années à étudier et donc pour porter le titre d’étudiant.
J’avais 21 ans. Je n’avais jamais passé mon bac et plutôt que de partir en fac de droit, j’étais partie avec mon sac sur le dos faire le tour du monde.
Dehors les gens m’empêchaient de passer, je détestais tout cela. C’était comme s’il fallait se promener en permanence dans une rue piétonne, chose déjà insupportable avant la fin du monde pour moi et mes syndromes d’agoraphobie légère. Comme je détestais ces rues où les gens marchaient devant vous à une vitesse frôlant l’immobilité, prenant toute la largeur de la voie et ne vous laissant pas la moindre chance de les dépasser pour marcher aussi rapidement qu’il vous plaisait… Si les romains avaient vraiment voulu faire souffrir Jésus, ils lui auraient fait porter sa croix dans une rue comme ça…
Je poussais les gens du coude pour atteindre mon but. Sur le chemin mon téléphone sonna, je décrochais machinalement et entendis sans surprise la voix de ma mère. Une énième fois elle faisait part de son mécontentement face au fait que je ne veuille pas de mort en famille. Je devais hurler dans le combiné pour me faire entendre au-delà du tohu-bohu général. Je la rassurais comme je le pouvais, lui dis que je la retrouverai bien assez tôt dans l’au-delà et que oui, je me brosserai les dents pour que, s’il y avait des lumières noires là bas comme une théorie venait de le dire, je sois bien dans la file de ceux avec les dents qui brillent… J’évitais les adieux sentimentaux et coupais la communication le plus rapidement possible, ce qui signifie, quand il est question de ma mère, suffisamment longtemps pour m’amener à dix mètres de la laverie.
Etonnement personne n’utilisait les machines à l’intérieur. J’ouvris donc le premier tambour pour y jeter mon tee-shirt et une dose de lessive puis enclenchais le bouton marche.
Je sortis sur le pas de porte. L’ambiance ici était plus dans le style musique africaine, avec des tambours et des instruments difformes faisant plus penser à des alambiques qu’à des instruments à vent…. En vérité je n’appréciais pas trop. La moitié des musiciens venaient certainement de décider d’apprendre à jouer d’un instrument avant de mourir et le tout sonnait affreusement faux.
Un groupe d’étudiant déboula dans la rue avec des feuilles de vigne en guise de cache sexe et en hurlant la Marseillaise. L’un d’eux cria qu’il était le maître du monde, ce qui fit écho à un homme qui hurlait depuis une fenêtre qu’il était le messie, qu’il sauverait les hommes de la fin du monde. Sur le coin d’un trottoir un couple forniquait sans pudeur devant les yeux de tous mais cette scène aussi était devenue monnaie courante et ils furent laissés à leurs affaires…
Je regardais ma montre : 13h28. C’était idiot mais le temps me paraissait presque trop lent. J’avais hâte que tout ce cirque finisse. J’avais un mal de crâne insoutenable et un goût de paprika mentholé dans la bouche.
En plus la fin du monde, histoire d’en rajouter une couche, avait choisit Avril pour arriver. Avril ! J’avais froid. Pas froid parce que je sentais l’air frais sur ma peau, non j’étais trop saoule pour ça, froid juste par principe. C’était ma façon à moi de protester et je la trouvais des plus originales puisqu’elle n’impliquait pas d’être nu comme la plus part de celles que les autres expérimentaient…
Je m’assis par terre, les genoux repliés sur la poitrine, mes bras vinrent les entourer et je me mis à penser. Les mêmes questions depuis quatre ans... Comment cela allait se passer ? Est-ce que nous allions souffrir ? Une vie après la mort ?
Ces trois dernières années des gens avaient prit place sur des piles de cageots de fruits de supermarchés pour crier leur vérité à ce propos au milieu des places publiques. J’avais l’impression d’avoir tout entendu. La plus part des versions de la fin du monde sorties des textes sacrés étaient simplement trop flippantes pour que j’y porte le moindre intérêt. Je leur préférais les théories modernes.
Il y avait celle en faveur des dents blanches que ma mère affectionnait particulièrement, mais aussi celle des Delta778ZQ : après la mort nous serons tous recyclés en canette de bière par le seul et unique survivant de la terre, à savoir Michel Rinneau, un facteur tiré au sort parmi les adeptes.
Ma version préférée du désastre racontait que la Terre allait être prise pour un moustique par des extraterrestres géants. Cela nous laissait deux morts possibles, une rapide et efficace : une tapette à mouche qui nous écraserait contre ce que nous aurions pu un jour considérer comme les bords de l’univers : en réalité il aurait s’agirait d’un poster de l’espace collé sur le mur d’une chambre d’adolescent passionné de science fiction. Nous y aurions formé une tâche qu’il aurait imaginé être une nouvelle constellation. Ou bien une mort lente et douloureuse à coup de bombe d’insecticide. Nous allions donc finir notre vie et reposer sur les poils d’une moquette sale jusqu’à ce que quelqu’un se décide à passer l’aspirateur. Au moins espérions nous que l’extraterrestre en question aurait oublié d’ouvrir les fenêtres et se serait asphyxié en même temps que nous.
Quand à savoir s’il y avait une vie après la mort, j’espérais tout bonnement que non. Pour faire quoi ? Autant se satisfaire simplement de la vie…
La réincarnation pouvait être cool pendant trente secondes lorsque je l’imaginais, passé ce délai je regardais tout autour de moi et me demandais l’intérêt de remettre tout ce cirque ! Comment pouvait-on donner une deuxième chance à l’homme quand on voyait ce type là qui essayait de trouver quelqu’un prêt à lui rentrer une bouteille de soda dans le c… enfin vous voyez de quoi je parle…
Ma propre version de la fin du monde ou de la suite après la mort impliquait une pompom girl, c’est ce que j’avais décidé mais je ne savais pas encore quel rôle elle jouerait dans tout ça... Ce n’était déjà pas mal d’y avoir pensé et ça valait bien le reste…
Je repassais ensuite dans ma tête la fameuse liste. Celle que tout le monde s’était amusé à faire depuis dernièrement : « Tout ce que je veux faire avant de mourir », une liste stupide, mais comme tout le monde j’avais essayé d’en réaliser la majeure partie. J’avais sauté à l’élastique, j’avais apprit à marcher sur les mains, j’avais couché avec un inconnu et en plein milieu d’un champs histoire de faire une pierre deux fantasmes et découvrir que le blé était un sol des plus inconfortables, j’avais fait le tour de l’Europe et quelques pays du reste du monde, je m’étais faite tatouée, j’avais mangé des oursons en guimauve recouverte de chocolat jusqu’à en vomir, j’avais mis le feu à une voiture, je m’étais rasé le crâne deux fois, j’avais tenté de vivre quatre jours dans une armoire et la liste se prolonge encore...
Il y avait eu aussi ce que je n’avais pas prévu dans la liste mais dans lequel j’avais été embarqué et que j’avais donc rajouté sur le tas : nager dans une piscine remplie de lait, faire une overdose, participer au record mondial de la plus grande sculpture en capote, dormir pendant quatre jours, parler à un lampadaire en étant persuadée qu’il était ma tante…
Il y avait malheureusement aussi tout ce que je n’avais pas fait dans cette liste, tout ce qui impliquait un futur plus long : devenir avocate, écrire un livre, lire toute la pléiade, dire à mon gamin « File dans ta chambre ! », plaquer ma carrière d’avocate et devenir rock star, voir enfin une voiture voler et des robots devenir nos domestiques…
Et enfin il y avait cette dernière petite case non cochée, une qui pourtant ne concernait pas le futur, quelque chose que je pouvais faire n’importe quand : « faire tomber un sèche-cheveux dans ma baignoire ».
On m’avait fait comprendre que ce serait malvenu de tenter cette expérience car j’aurai eu de grandes chances de ne plus pouvoir accomplir le reste de cette fameuse liste par la suite… Je n’étais absolument pas suicidaire, j’avais juste l’idée tordue que la chose serait plutôt cool. Si j’avais été un homme peut-être que je me serai contenté de « pisser sur une clôture électrique », mais contrairement à beaucoup de personnes ces quatre dernières années, le changement sexe ne me tentait pas…
13h34… Il me restait un bon moment avant que le tee-shirt ne finisse de tourner dans la machine… Une nouvelle fois la drogue avait du me donner un petit coup de pouce dans ce nouveau coup de tête : je repartais maintenant chez moi à la recherche d’un sèche-cheveux. Je ne fis pas attention à grand-chose sur le chemin, j’ai juste plus ou moins le souvenir d’être tombé en plein dans une course de sac et d’avoir été à deux doigts de me battre avec un homme qui m’avait sauté dessus sans raison et mordu à l’épaule… Les détails n’ont pas collé à ma mémoire…
En entrant à nouveau dans ma chambre je découvris Thomas assis par terre en train de fumer un joint. Le post-it était toujours collé sur son front, je ne pense pas qu’il l’avait lu mais il ne m’interrogea pas pour savoir où je m’étais rendue. Je fixais pendant quelques secondes sans m’en apercevoir la mèche de cheveux qui tenait à la verticale au dessus de sa tête, défiant toutes les lois de la physique.
Thomas n’était pas mon meilleur ami. Il n’était même pas un ami, juste un pote, à peine plus qu’une connaissance. A l’origine je devais mourir entre amis, mais d’une façon ou d’une autre, comme si nous avions suivit l’exemple d’un mauvais film d’horreur, nous nous étions peu à peu séparés. Avec la foule qui emplissait les rues c’était peine perdue de tenter de retrouver qui que ce soit. Il ne fallait pas compter sur les portables non plus. Ma mère avait eu de la chance un peu plus tôt ou alors cela devait faire trois bons jours qu’elle essayait de me joindre, car le réseau était aussi saturé qu’aux alentours de minuit un trente et un décembre. J’avais simplement croisé Thomas dans la rue, aussi séparé de ses véritables amis que moi, la crainte d’être seul nous avait rapproché et c’est ainsi qu’il s’était retrouvé à dormir sur mon tapis.
De grands coups furent frappés contre le mur derrière moi, faisant trembler toutes les autres cloisons et me stoppant net dans mes réflexions. Thomas et moi tournâmes la tête dans un même élan pour observer le mur commencer à s’effriter. Bientôt un morceau gros comme une assiette à dessert tomba sur le sol dans un nuage de poussière blanche et nous découvrîmes le visage de ma voisine à travers le trou qu’il avait laissé. La massue qu’elle tenait visiblement dans les mains s’abattit une fois de plus et ce manège continua jusqu’à ce qu’un passage de taille correcte soit réalisé entre nos deux appartements respectifs.
Elle déclara simplement qu’elle avait besoin d’espace. Cela me chagrinait parce que mon appartement était beaucoup moins joli avec cette poussière blanche qui recouvrait tous mes meubles, mais aussi parce que ma voisine avait une verrue sur le visage, juste en dessous de sa narine droite. Je ne pouvais dorénavant pas m’empêcher de la regarder et cela me mettais très mal à l’aise.
Sans autre forme d’explication j’attrapais mon sèche cheveux dans mon coin salle de bain et sortis de ce qu’il restait de mon appart’. Je retournais au Lavomatic sans trop de dommages. La lessive avait fini de tourner et le tee-shirt attendait, roulé en boule au fond du tambour. Je le sortais et le posais sur une chaise afin qu’il sèche. Il fallait maintenant que je trouve une prise pour brancher le sèche-cheveux et cela impliquait de bouger un des lave-linge.
Après de longues minutes d’efforts intenses où je tentais tant bien que mal, enfin plutôt mal à vrai dire, de faire reculer de quelques centimètres cette maudite boite, je finis par arriver à un résultat concluant en me servant, en guise de levier, d’un morceau de pare-choc de voiture trouvé sur le trottoir.
J’avais décidé d’un scénario un peu plus original que la baignoire. C’est que cela m’avait évoqué Claude François pendant un dixième de secondes et que je trouvais dommage de ne pas impliquer un style un peu plus personnel dans la mise en scène de ma propre mort. Le plan prévoyait donc les choses de cette manière : j’allais m’enfermer dans une machine à laver dont j’aurai au préalable troué la vitre à l’aide d’une perceuse. Dans ce trou passerait le fil du sèche-cheveux que je n’aurai plus qu’à mettre en marche une fois que l’eau inonderait le tambour. Ce que j’appréciais particulièrement dans ce plan c’était l’idée de tourner en même temps que m’électrocuter ! Ce que j’ignorais encore c’était si j’allais quand même rajouter de la lessive ou non…
Une fois la machine suffisamment déplacée pour brancher l’instrument de ma mort, je me fis une liste mentale de ce dont j’allais avoir besoin pour la suite des événements. Déjà une multi prise, ensuite une rallonge. Il allait aussi me falloir une perceuse ou une massue pour trouer la vitre. Je rajoutais un paquet de bonbon en forme de schtroumpfs simplement parce que j’en avais terriblement envie. Heureusement pour moi il y avait un centre commercial à quelques pas où j’espérais trouver toutes ces fournitures.

De l’extérieur le centre commercial était ce qu’on faisait de mieux pour se rendre compte que l’on vivait la fin du monde. De l’intérieur c’était pareil, mais en pire. Le côté grouillant faisait penser à une fourmilière mais une fourmilière sans la moindre organisation, car des gens courraient partout à perte de vue. Leurs bras étaient toujours sans exception encombrés de gros cartons de matériel électroménager, le plus souvent remplis de cafetières.
Un homme s’arrêta à ma hauteur, étonné de voir quelqu’un se promener les bras vides. Il développa une dizaine d’arguments pour me prouver à quel point cela faisait mauvais genre et finit par m’offrir une cafetière pour mettre fin à mon déshonneur. Je fus navrée de lui annoncer que je ne n’aimais pas le café, un petit mensonge qui me permit de me débarrasser de lui et de continuer ma route.
Sur le chemin du magasin de bricolage je passais devant une boutique de prêt-à-porter où se déroulait une scène peu banale. Le patron du magasin se tenait devant la porte, un fusil à pompe dans les mains et menaçait quiconque osait prendre quelque chose sans payer. Il faisait partie de cette poignée d’incrédules pour qui la fin du monde avait autant de chance de se passer qu’un chat avait de chance de pondre un œuf d’autruche. On ne pouvait pas en vouloir à ces gens car personne n’avait été assez intelligent pour confirmer ou mettre à mal le calcul des dix savants. On espérait tous plus ou moins que la fin du monde aurait vraiment lieux pour ne pas passer tous pour des imbéciles. Mais dans l’absolu… rien n’était sûr…
Je continuais mon chemin à travers le centre commercial. Le magasin de bricolage n’était pas le moins fréquenté. C’est qu’il fallait d’abord passer prendre quelques outils ici quand on voulait aller piller les autres magasins ensuite. Je fis le tour des rayons et trouvais sans trop de mal la multiprise et la rallonge. En revanche l’étagère où devaient être posées les perceuses était désespérément vide. Je fus emplie d’une frustration insupportable.
Soudain à l’autre bout de l’allée j’aperçu un homme d’une cinquantaine d’année qui marchait difficilement, les bras chargés de cartons. Même avec la distance cela ne trompait pas. Les dix centimètres de graisse qui s’étendaient devant lui au niveau de la ceinture servaient bien d’appui à une pile impressionnante de perceuses ! Je m’empressais de le rejoindre et lui demandais d’une voix hystérique s’il voulait bien me céder une des machines.
« - Non.
- Comment ça non ?
- Non, c’est à moi, je les garde ! J’ai eu un mal fou à les faire toutes tenir dans mes bras sans qu’elles tombent alors maintenant je les garde !
- Mais je peux prendre celle qui est la plus en hauteur ça ne fera rien tomber du tout !
- Non. »
Je commençais à voir rouge et à me demander s’il n’était pas plus rapide de lui faire un simple croche pied pour qu’il tombe et substituer ensuite une des boites. Je pouvais aussi très bien faire le coup du « eh ton lacet est défait » mais j’avais déjà failli me battre un peu plus tôt et je voulais faire les choses le mieux possible. De la per-su-a-sion !
« - Mais vous allez faire quoi avec toutes ces perceuses ? Vous avez vraiment besoin d’en avoir onze ?
- Mais je n’ai absolument pas l’intention de m’en servir !
- Alors pourquoi ne pas m’en donner une ?
- Parce que ça fait trois bonnes heures que je les tiens et qu’elles ne bougent pas. Maintenant ça me rassure de les avoir avec moi ! Si je m’en débarrasse d’une j’ai peur qu’elle manque à ma confiance en moi !
- Mais j’en ai besoin moi ! Il faut que je fasse des trous vous comprenez !
- Bah alors faut me trouver une compensation pour cette perte !
- Vous voulez de l’argent ?
- De l’argent ? Non ! A quoi ça me servirait ? On ne paye plus rien !
- Bah quoi alors ?
- Bah je ne sais pas… Qu’est ce que vous proposez ? »
Je fouillais dans ma poche à la recherche d’une monnaie d’échange. J’y trouvais un vieux mouchoir, quatre cachets d’extasie, vingt centimes d’euro, un test de grossesse (je n’avais pas la moindre idée de ce que ça faisait là…) et la clef de mon cadenas de vélo. Je lui présentais le tout mais il n’y trouva pas d’intérêt.
« - Je ne sais pas moi dites moi ce dont vous avez besoin !
- Il faudrait un truc vraiment spécial. Quelque chose susceptible d’intéresser une personne qui va mourir dans quelques heures !
- Vous êtes en train de me dire que vous voulez coucher avec moi ?
- Ah non ! Ca ne serait pas pratique avec les cartons dans les bras !
- Il n’y a pas un truc dont vous avez toujours rêvé ?
- J’aurai aimé être cosmonaute…
- Non mais autre chose !
- Bah je ne vois pas là…
- Je ne sais pas moi, je peux vous écrire un poème, trouver le générateur du magasin et couper le courant, tuer quelqu’un, improviser un pas de danse…
- Désolé…
- Je ne peux pas simplement remplacer la boite par une autre boite ?
- Une boite de quoi ? »
Je jetais un coup d’œil aux produits éparpillés autour de nous… Il y avait une scie sauteuse mais elle n’avait pas de boite… Le reste c’était des clefs à molettes, des clefs sans molettes, des tournevis… Il y avait une boite là bas mais je ne voyais pas ce qu’elle contenait. Je m’approchais pour découvrir une boite de perceuse. J’eu un grand sourire qui illumina mon visage avant de m’apercevoir qu’elle était vide…
« Et si je mets la scie sauteuse dans la boite de la perceuse ? »
Il réfléchit quelques secondes et accepta le deal si je rajoutais la récitation du poème. Je trouvais une échelle dont je me servis pour échanger les boites, puis perchée sur la marche en métal j’improvisais un petit poème, me tenant bien droite comme si j’étais en train de chanter sur les barricades lors de la révolution française :

« A la votre messieurs dames, gardez moi dans vos cœurs
Car ce soir la grande lame fauchera de bonne heure.
Faites déborder ma coupe d’une liqueur sucrée
Et frémir mon palais de sensations nouvelles,
O ma joyeuse troupe, c’est ce soir que je vais
Affronter les jurés, supplier l’éternel.
Pas de place à sa droite, que ferai-je donc là ?
Ce que moi je convoite, c’est la chaleur d’en bas,
Où souffrant mille tourments, je serai malgré tout
Proche des bons vivants, de tous ces fiers filous
Qui ont levé leurs verres jadis à ma santé
Et sont tombés par terre, leur ivresse partagée. »

Je pris la fuite avant que l’homme ne se fasse critique de mon poème. Lorsque je repassais devant le magasin de prêt-à-porter, avec beaucoup plus de discrétion que la fois précédente, puisqu’à mon tour je courrais avec un carton dans les bras, j’entraperçus le responsable de magasin se faire tabasser par une dizaine de mômes. Je ne comprenais pas vraiment le rapport entre les mioches et les fringues pour femme à prix discount mais je n’avais pas le temps pour m’épancher sur ce problème et regagnais aussi vite que je le pouvais la laverie.
Après une heure passée à tenter de percer la porte du lave linge trois évidences s’imposèrent à moi. La première c’était que j’étais vraiment nulle pour le bricolage. La deuxième ne vaut pas la peine d’être racontée et enfin la troisième était qu’une perceuse ne ferait jamais des trous assez gros dans la vitre.
Pour éviter de perdre encore du temps au magasin de bricolage à chercher une massue je me rendis directement chez ma voisine qui eu l’amabilité de me donner la sienne.
Elle avait élu domicile dans mon minuscule chez moi et buvait le thé avec trois hommes à l’allure étrange et une chèvre. Ils me proposèrent une tasse et parlèrent d’une expérience mystico-étoilée ou je ne sais pas quoi. Une drôle d’histoire avec un type chauve, une paire de sandale et la sensation de voler, en bref à part le fait qu’il y avait quelque chose autre que le thé dans celui-ci je ne compris pas réellement de quoi il était question et déclinais l’offre.
La vitre de la machine était vraiment épaisse et je ne suis pas sure que la massue aurait fait quoi que ce soit si il n’y avait eu les trous de perceuse avant. Dans tous les cas un morceau finit enfin par sauter. Je mis le sèche-cheveux dans le tambour, fis passer le fil par le trou, le branchais à la rallonge, elle-même branchée sur la multiprise avec le lave-linge. Tout était en place. Je vérifiais l’horaire sur ma montre : il restait à peine plus d’une heure avant la fin du monde.
Est-ce que je devais attendre ou mettre mon plan à exécution maintenant ? Il faut avouer qu’une heure à tuer ça me semblait long, j’avais déjà fait le tour de tout ce que j’avais à faire dans ma vie. Une heure de plus d’accord c’est bien joli mais pour faire quoi ? J’étais forcée de le reconnaître, je disposais d’une heure de trop !
La curiosité tenait en éveil une partie de mes pensées, d’un autre côté si j’étais morte je ne pouvais pas regretter de ne pas avoir découvert comment le monde allait se terminer. Sans parler du fait que mourir maintenant était de la plus haute originalité. Deuxième option donc.
J’entrais dans le tambour. J’étais assez serrée mais ces trucs là sont quand même plutôt spacieux pour l’utilité qu’on en a… Pour finir je n’avais pas ajouté de lessive… En tordant plus ou moins mon bras gauche je passais la main à travers le trou pour bien fermer la porte et atteindre le bouton qui lançait la mise en route du programme. Il fallut sortir pour aller quémander quelques pièces dans la rue car j’avais oublié de mettre de la monnaie. J’exécutais une nouvelle fois la marche à suivre, réussis à trouver enfin le bouton « on », plaçais mon doigt dessus...
Ce n’était peut-être pas une bonne idée…
Je poussais un profond soupir, j’avais conscience qu’il faudrait faire vite une fois que l’eau entrerait dans le tambour, le but n’était pas de me noyer. J’espérais que si le sèche-cheveux ne fonctionnait pas le trou suffirait pour évacuer l’eau…
J’appuyais sur le bouton. L’eau commença à monter autour de moi. Comme cela ne tournait pas encore alors je retins ma respiration, les doigts crispés sur bouton-poussoir du sèche cheveux. Je n’étais plus certaine du tout d’avoir bien fait les choses. Tout cela était véritablement angoissant…
Enfin il y eu un bruit sourd, comme un cliquetis métallique et je me sentis partir en arrière. Ma tête eu le temps de passer une fois sous l’eau, cela ne dura même pas une seconde mais déjà un sentiment nauséeux naissait en moi.
Et mon doigt poussa.

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