« - Gitz, viens là ! »
Le furet arrêta ses allées et venues dans la moquette et s’approcha joyeusement de moi. Seulement je ne le voyais qu’à peine. J’étais étonnée par l’étrangeté de ce qui était sorti par ma gorge. Cela faisait plusieurs semaines que je n’avais pas eu besoin de dire un mot à qui que ce soit, me contentant d’appeler le furet en claquant des doigts, et elle s’était comme enraillée. Mon intonation était maladroite et ma voix originelle derrière tout cela sonnait plus comme un souvenir lointain qu’autre chose.
Je pris le furet dans mes bras et le caressais machinalement en laissant aller mes pensées. J’étais seule. Cela prit tout son sens. D’un seul coup je pensais à tous mes amis, à ma famille… Je ne savais même pas ce qu’ils étaient devenus… La trace de l’homme était partout autour de moi, il avait façonné le monde pour lui. Mais j’imaginais qu’une vie intelligente reprenne le dessus sur Terre et se pose des questions sur ce que nous avions bâti. Ca serait au même titre que les statues de l’île de Pâques un mystère insondable. Pourquoi et par qui ? Il ne restait de l’homme que des maisons de béton armé, plusieurs tonnes de bouteilles en plastique, quelques produits artisanaux, des horreurs comme le papier tue-mouches ou les DVD de la petite maison dans la prairie et… moi. J’étais la seule preuve que l’homme avait existé. Est-ce que ça valait vraiment la peine de vivre toute seule à présent ?
A quoi allait ressembler ma vie ? Ma vie sans personne. Ma vie avec un furet débile…
Dans quelques temps j’allais oublier tout simplement comment parler. Les seuls sauveurs de ma langue natale seraient des livres et des films à qui je n’aurai pas à répondre. Je me doutais bien depuis un moment que cette vie allait faire de moi une folle aux dents jaunes qui se mettrait des plumeaux à poussière dans les cheveux, porterait des sacs poubelles en guise de robe et accuserait violement les cabines téléphonique d’être des envoyés extraterrestres. Mais je n’allais pas simplement devenir folle. J’allais devenir stupide. Il n’y avait plus personne pour me dire si j’avais raison ou tort, plus personne pour avoir ce genre de discussions qui vous poussent à raisonner un minimum…
Je n’avais jamais été quelqu’un de doué pour les relations sociales, mais de là à ne plus en avoir du tout… Est-ce que l’être humain peut vivre seul ? Je n’avais que peu de notion de psychologie, mais il me semblait que c’était aussi en partie la société qui rendait l’homme Homme.
J’aurai tué pour entendre une voix me dire un simple bonjour. Mais le pire c’est que tout à la fois j’aurai détesté ça aussi. Je répugnais à imaginer un inconnu entrer dans ma vie de cette façon. Dans les films quand il y a deux survivants bizarrement ce sont toujours les deux canons de l’histoire. Je ne me fais pas d’illusion, j’imagine bien sur quoi je pourrai tomber, quelqu’un avec qui ne je me serais jamais entendu dans d’autres circonstances, un fan de tunning ou un adolescent éternellement habillé en survêtement de sport. Je ne doute pas être capable d’apprendre à aimer cette personne. Mais quelle horreur d’avoir à le faire.
J’avais une solution : je pouvais me tuer maintenant. Attraper l’arme à ma taille, me coller le canon sur la tempe et presser la détente…
Non, pas au pistolet, si je me ratais j’aurai juste une moitié de la tête en moins et imaginons que je survive, à tous les coups je tomberai sur cette partie du cerveau qui commande une moitié de mon corps, ou encore mieux : celle qui régule la mémoire et là j’aurai un œil en moins et en plus je ne saurai même plus comment ouvrir une porte… Je ne voulais pas me pendre non plus, si mes cervicales tenaient le coup je mourrai étouffée et cela me semblait assez lent et horrible… Je pouvais bien mettre la tête dans les toilettes et inspirer profondément pour remplir d’eau mes poumons mais l’eau ici est trop calcaire et je hais ce goût… Me trancher les veines ça serait vraiment sale, du sang partout, j’imaginais mon corps pourrissant et attirant tous les charognards… L’électrocution c’est bon, j’avais déjà donné… Cachets, overdose, quelle originalité ! Cette mode là battait son plein avant la fin du monde, là ça faisait dépassé…
Je devais me rendre à l’évidence que le suicide n’était pas pour moi.
Alors j’eu une autre idée qui changea ma vie à jamais. J’allais m’inventer un ami imaginaire !
Au départ je me doutais que l’exercice ne serait pas facile, qu’il faudrait du temps pour me convaincre que je parle vraiment à quelqu’un qui existerait. Mais puisque tout cela prendrait des années avant d’être vraiment utile, autant m’y mettre dès à présent. Je fermais les yeux et commençais à dessiner une personne en face de moi.
En réalité j’estimais qu’il était préférable que mon ami imaginaire soit une amie imaginaire. Un jour je serai folle et ce jour là quand je verrai vraiment cet être, je préférais m’assurer que je n’en tomberai pas amoureuse puisqu’il allait être le seul homme sur Terre avec moi. En créant une fille je prenais le risque de devenir lesbienne avec le vide mais pour garder quand même une chance de ne tomber amoureuse de personne c’était encore la meilleure solution… Je baptisais ma création Karine, avec un K. J’aimais la sonorité de ce prénom tout simplement mais je connaissais une Carine avec un C qui avait été avec moi en primaire et qui m’avait volé tous mes pogs en trichant effrontément pendant que les autres regardaient ailleurs. La vie heureusement vous venge toujours de ces personnes qui vous traumatisent alors que vous sucez encore votre pouce et n’avez pas le droit encore de vous coucher après vingt et une heures. Plus tard au lycée la dite Carine avait eu assez d’acné pour ressembler à une calculatrice scientifique, et surtout, aujourd’hui elle était morte et moi non.
Ma Karine au contraire avait une peau parfaite, imaginez le drame si elle devait occuper la salle de bain le matin pour se faire sauter les points noirs ! Je n’appréciais pas tellement les filles aux cheveux courts et j’avais moi-même les cheveux longs et ne voulais pas faire d’elle un clone, elle se vit donc dotée d’une coupe de cheveux sympathique qui était un compromit entre les deux. Je la rendis brune avec des reflets ocre au soleil. Elle avait un petit front légèrement bombé où tombaient, en une fausse frange, quelques mèches de cheveux rebelles. Des sourcils bien dessinés surmontaient de grands yeux verts et à gauche, à côté de la pupille, sur le blanc de l’œil elle possédait une petite tâche rouge comme si un petit vaisseau sanguin avait explosé. J’avais vu ça chez quelques personnes auparavant, c’était étrange mais je trouvais que ça donnait du charme à quelqu’un ce petit défaut saugrenu… En dessous de ses yeux, sur ses pommettes, sa peau était parsemée de tâches de rousseur. Celles-ci traversaient aussi son nez, fin et légèrement retroussé sur le bout. Elle n’avait pas de problème de lèvres comme la lèvre supérieure qui recouvre la lèvre inférieur et vous donne une tête de poisson. Non, ses lèvres, ni trop fines, ni trop pulpeuses pour ne pas ressembler à une actrice porno avec surconsommation de collagène, dessinaient une petite bouche en cœur naturellement ouverte sur un début de sourire qui laissait apparaître furtivement la pointe de ses dents. Sans pour autant être à elle seule un spot publicitaire pour dentifrice, je lui offrais une mâchoire détartrée et surveillée régulièrement par le dentiste. Une bonne dentition c’était important, je croyais me souvenir que c’était en regardant les dents qu’on décidait ou non d’acheter un cheval… Enfin pour finir avec la tête, Un visage fin, qui gardait un léger quelque chose enfantin.
Son corps reçu des proportions plus que convenables. Heureusement qu’elle n’était qu’imaginaire, car je ne vous raconte pas les complexes qu’une fille pareille m’aurait refilés ! J’étais particulièrement fière de ce que mon cerveau avait engendré, même si mon « bambin » risquait de faire carrière chez Playboy… Je l’habillais un peu plus décontractée pour compenser.
J’avais cru que cet exercice de création serait plutôt évidant, mais il n’en était rien. Je suais à grosses gouttes sous le coup de l’effort mental que cela nécessitait.
Je me rendais compte que jamais je ne m’étais représenté quelqu’un dans son ensemble, ou plutôt justement, uniquement dans son ensemble. Des personnages que j’avais inventé dans mes rêves et dont je me souvenais le lendemain au réveil, je me faisais une représentation assez juste, mais lorsqu’il fallait se rappeler de détails, de la couleur de leur yeux, de ce à quoi pouvait ressembler leurs chaussures, de la forme que prenait leur bouche lorsqu’ils souriaient, il subsistait uniquement une sorte de flou artistique.
Le plus triste c’est que cela ne concernait pas seulement les personnes que j’avais inventé de toute pièce, alors que j’avais tâché un peu plus tôt de visualiser mes proches lorsque je repensais à eux, j’effectuais un travail aussi bâclé. Quelle était la couleur exacte des cheveux de ma mère avant qu’ils deviennent gris et qu’elle les teinte en auburn ? Est-ce qu’ils avaient tendance à friser s’ils séchaient naturellement ?
J’avais l’impression de manquer de respect à tous ceux qui avaient partagé leur vie avec moi, alors je mis un soin tout particulier à créer Karine. Je me concentrais le temps qu’il fallait sur chaque partie d’elle. Je fis une véritable retraite dans ma tête, à ne plus penser qu’à cet être nouveau à qui je donnais vie. Le temps passa sans que j’en ai conscience, seule la faim, les besoins primaires, ou les morsures du furet sur mes doigts me sortaient de ma transe. Parfois il faisait jours et parfois il faisait nuit, mais j’étais incapable de mesurer le temps qui s’était écoulé entre chaque.
Le corps humain était d’une complexité incroyable, il semblait malgré tout découler d’une logique harmonieuse, sans avoir la moindre notion d’anatomie autre que la connaissance de mon propre corps ou de ceux que j’avais vus nus contre le mien, il se dessina intuitivement. Il s’avéra qu’un coude déplacé de quelques centimètres gâchait tout le tableau, ce n’est qu’une fois placé correctement que je réussissais à poursuivre.
Derrière mes paupières toujours closes, chaque élément trouva sa place, l’un après l’autre et un jour je fus capable de la voir distinctement. Sur le fond noir que lui octroyait mes yeux fermés je vis véritablement Karine et parce que je pouvais détailler tout ce qui faisait qu’elle était elle, c’était comme si elle était véritablement en face de moi.
Quand j’ouvrais les yeux tout disparaissait, parce que j’avais d’autres détails sous les yeux, tout le bazar à l’intérieur de la chambre, en particulier les détails d’un furet dormant au milieu d’un paquet de gâteau et le détail de toutes les miettes tombées sur la moquette.
Je refermais donc les yeux, mais c’était comme si j’avais une personne dans le coma en face de moi, Karine ne bougeait pas d’un pouce, elle n’était animée d’aucun souffle de vie. Elle avait l’air drôlement paisible, mais pas franchement causante.
Il était temps de lui donner la vie définitivement.
Je voulais savoir la date pour fêter son anniversaire plus tard mais j’avais perdu un peu le compte ces temps-ci. Le furet n’étant pas d’une grande aide dans ces cas là… Il fut convenu que Karine n’aimerait pas les anniversaires ! Cela fut malheureusement le seul trais de caractère que je pensais à lui donner avant de la réveiller.
J’observais une dernière fois la silhouette immobile. Au-delà de son apparence de véritable mannequin, il y avait un petit quelque chose qui faisait années soixante-dix chez elle et qui me la rendis tout de suite sympathique. Je souris tandis qu’elle ouvrait les yeux. La chose était vraiment difficile, il fallait à la fois beaucoup de concentration afin de continuer à la voir dans un ensemble détaillé, et à la fois beaucoup de laisser aller inconscient afin de ne pas la rendre trop prévisible. J’exagérais peut-être la chose malgré moi, je me crispais comme si cela aidait : mon cou rentré dans mes épaules une grimace sur mon visage comme si j’étais constipée. Réciproquement maintenant, elle m’observait elle aussi.
L’inconvénient d’un ami qu’on s’imagine, c’est qu’il ne fait que ce que vous imaginez. Il va tourner les yeux vers la droite parce que vous imaginez qu’il tourne les yeux vers la droite, en fait, il va être une deuxième vous, incapable de faire quoi que ce soit qui soit absent de votre propre esprit. Cela n’allait pas être une partie de plaisir avant que Karine commence à devenir intéressante. J’allais devoir attendre un bon moment avant d’être capable de placer en elle tout l’inconscient qui sommeille en moi, seule partie susceptible de reprendre quelque peu mon esprit.
Je pris une grande inspiration et m’adressais à elle :
« - Bonjour Karine, je suis Romane. L’humanité a disparu de la surface de la Terre et je suis la dernière survivante.
Je la vis froncer les sourcils et j’étais soulagée parce que cela venait naturellement et que c’était légèrement plus évidant que ce à quoi je m’attendais.
- Je viens de te créer pour…
Sa bouche s’ouvrit lentement et elle se mit soudain à hurler comme si elle ne s’en rendait pas compte :
- ESPECE DE CRETINE ! COMMENT TU VEUX QUE JE COMPRENNE CE QUE TU ME RACONTES JE SUIS COMPLETEMENT SOURDE TU NE M’AS PAS FAIT D’OREILLES ! »
Je n’étais pas installée sur une chaise, mais bien que déjà assise sur le sol je tombais à la renverse sous la surprise. J’ouvris les yeux, perdis le fil. Elle avait disparue et non loin de l’endroit où elle se tenait quelques instants plus tôt, le furet me regardait fixement. Cela me mettait d’autant plus mal à l’aise et me donna d’autant plus l’impression d’être jugée que le furet était passablement myope et ne devait même pas me voir… Je m’empressais de clore à nouveau mes paupières. Elle apparut instantanément devant moi. Elle se tenait là, les mains sur les hanches, une expression d’attente sur le visage. Elle haussa les sourcils et poussa un gros soupir d’exaspération.
Mon imagination était vraiment balaise.
Je déglutis péniblement et m’empressais de lui imaginer deux oreilles. J’y ajoutais un petit bijou discret pour me faire pardonner.
« - Ouais… C’est quand même mieux… Bon tu disais ?
- Euh… Bah salut… Je m’appelle Romane. L’humanité a disparue et je suis la dernière survivante de l’espèce…
- Disparue ? Comment ça disparue ?
Je fus prise de court et ne trouvait pas mieux à répondre que :
- Bah… c'est-à-dire que je ne connais pas de synonyme pour disparaître alors…
- Il n’y a plus personne ?
- Bah y’a moi quoi…
- Et le furet ?
- Bah y’a moi, y’a Gitz, y’a aussi des chiens, des chats, des hamsters et des moustiques mais bon ça compte pas vraiment quand on parle de l’humanité…
- Il n’y a plus un seul autre humain sur Terre ?
- Non.
- Tu es sûre ? Et les australiens ?
- Les Australiens ?
- Oui j’aime bien leur accent… Tu as vérifié qu’il n’y avait plus personne en Australie ?
- Bah… Nan… Je suis une bille en anglais de toute manière alors l’accent australien…
- Mais comment tu peux être sûre que tu es la dernière humaine ?
- C’était prévu qu’on meurt tous alors qu’il y ait déjà une survivante est déjà énorme non ?
- Mais tu as vérifié quand même un minimum, n’est ce pas ?
- Bah ouais…
- Où ça ?
- Euh… Dans le centre ville ?
- Mais t’es tordue ou quoi ! Faut que tu saches s’il y a eu d’autres survivants avant d’inventer des filles qui n’ont pas d’oreilles ! C’est tout à fait précipité ça ! Faut aller chercher un portable, l’avoir toujours sur soit et inscrire à la bombe sur les murs de la ville qu’on peut joindre quelqu’un de vivant à ce numéro ! Il faut que tu ailles sur internet et que tu rendes visible sur la toile que quelqu’un en France vit encore ! Tu aurais du essayer de trouver les gens qui ont fait la prédiction de la fin du monde, découvrir ce qu’ils en disaient, comprendre ce qu’il s’est passé. Et puis il faut que tu découvres pourquoi TOI tu n’es pas morte contrairement aux autres, tu es peut-être destinée à de grande chose ! »
Pour calmer le jeu et le flot de paroles dont Karine m’inondait à mon plus grand étonnement, j’exécutais une technique ancestrale remise au goût du jour, afin de ne plus rien entendre. C'est-à-dire que j’ouvris les yeux, mis les mains dans mes oreilles et criais le thème des Schtroumpfs :
« Lalalalalalaaaaa lalalalalaaaaaaa »
Après deux ou trois répétitions je fermais discrètement un œil pour voir où en était Karine. Elle ne disait plus rien, les bras posés sur la poitrine, elle attendait visiblement que la conversation reprenne. Je fermais les yeux.
« - N’empêche que je n’ai pas tort. Il faut que tu découvres vraiment s’il n’y a pas d’autre survivant et tu ne peux nier que tu as un destin exceptionnel…
- Et si je trouve un survivant ça m’avancera à quoi ? Ce sera quoi mon destin hein ? Il faudra qu’on repeuple la planète ? Merci bien mais je n’ai pas envie de passer ma vie en cloque pour pondre une population d’abrutis consanguins ! Imaginons en plus que l’autre survivant soit un homme de cinquante ballets, gros et poilu et qui sente la carotte ! Non mais sérieusement ! Imaginons que je doive passer ma vie avec un type comme ça qui s’appellerait Prosper ! Je n’ai pas envie que n’importe qui me colle aux basques. Je le vois d’ici le coup des deux survivants qui doivent se tenir les coudes… Ah non, non non non ! Je ne m’accouple pas avec n’importe qui moi ! Enfin… ce n’est pas quelque chose qui se reproduira en tout cas !
- Ca pourrait très bien être une fille…
- Bah alors ça n’a aucun intérêt… On va faire quoi ? Parler sac à main et déodorant anti traces blanches ?
- Sympa… Et moi qu’est ce que je fous là alors ? »
Je me trouvais il est vrai un peu stupide… Je fis appel à ma mémoire pour retrouver les techniques qui m’avaient permis autrefois de me débarrasser de mon frère leur de nos grandes disputes. Je n’eu pas le temps de peaufiner ce qui remontait à mon cerveau et lançait sévèrement :
« De toutes façons tu as été adoptée ! »
Il y a des moments dans la vie où on peut se sentir seule, très seule. Ce fut l’un de ces moments.
Karine souleva un sourcil mais ne releva pas. Cela permit au moins que je lance un nouveau sujet de discussion :
« - Waouh la classe je n’ai jamais réussis à le faire ce truc ! Il y a toujours les deux qui se lèvent !
- Alors j’ai vraiment été créée pour ça hein… Servir de passe-temps à une débile… »
Je fus piquée au vif. Après tout c’était bien naturel ! Que je sois folle passe encore mais elle m’avait traitée de débile alors qu’elle existait tout simplement pour que je ne le devienne pas ! L’avantage c’est que je ne risquais vraiment pas de devenir lesbienne avec une fille pareille ! Les reflexes de lutte fraternelle reprirent en main le reste de la conversation :
« Qui est la plus débile des deux ? La débile ou la créature qui est née du cerveau débile ? Ca fait des jours que je me démène pour mettre en place ma nouvelle vie. J’arrête pendant quelques instants pour créer un être imaginaire et comment il me remercie ? En critiquant ma façon d’avoir mené les choses ! Non mais tu as raison, si j’avais su je me serai pas emmerdé à te créer ! Le furet ne causait pas mais lui au moins il n’était pas une fille pourrie gâtée qui veut tout contrôler ! »
Sous mes yeux Karine devînt toute rouge et déglutie péniblement après une grande expiration. Ses sourcils, que je trouvais très expressifs, se baissèrent spontanément et sa bouche se pinça. Elle se retourna violemment et s’en alla dans l’espace noir dans lequel je la faisais évoluer jusqu’ici faute de ne pouvoir me concentrer pour y mettre en papier peint ce que mes yeux voyaient lorsqu’ils étaient ouverts.
Peut-être que j’y avais été un peu fort… Je l’appelais à plusieurs reprises, m’excusais en criant pour qu’elle m’entende mais elle ne réapparut pas. A force de rester là les yeux clos je finis par trouver le temps long et les rouvrit sur Gitz qui vint contre moi quémander une caresse. L’infortuné animal voulu se caler sous la main que je tendais dans cette perspective, mais il visa bien entendu à côté et tomba de mes genoux sur lesquels il venait pourtant de grimper. Je souris malgré moi, alors que le moral n’y était pourtant pas.
« - Bon Gitz, on ne va pas se laisser abattre hein… C’est peut-être mieux après tout d’être seule… »
Je n’en pensais pas un mot, j’étais en train au contraire de me maudire intérieurement de ne pas avoir tenu ma langue. Ma création imaginaire s’était révélée caractérielle et donneuse de leçon mais est ce que ce n’était pas ce dont j’avais besoin ? Je sentis les larmes me monter aux yeux, mais je faisais partie de ces personnes dont la dignité est primordiale et qui ne conçoit de pleurer devant un furet que si celui-ci avait uriné sur la bande dessinée dédicacée de son auteur préféré le jour de la mort de son père, au moment exact où elle se serait enfoncée une écharde sous l’ongle du petit doigt de la main gauche. Je me contentais donc de renifler bruyamment et de déclarer qu’il était l’heure de l’entrainement au tir.
Le furet arrêta ses allées et venues dans la moquette et s’approcha joyeusement de moi. Seulement je ne le voyais qu’à peine. J’étais étonnée par l’étrangeté de ce qui était sorti par ma gorge. Cela faisait plusieurs semaines que je n’avais pas eu besoin de dire un mot à qui que ce soit, me contentant d’appeler le furet en claquant des doigts, et elle s’était comme enraillée. Mon intonation était maladroite et ma voix originelle derrière tout cela sonnait plus comme un souvenir lointain qu’autre chose.
Je pris le furet dans mes bras et le caressais machinalement en laissant aller mes pensées. J’étais seule. Cela prit tout son sens. D’un seul coup je pensais à tous mes amis, à ma famille… Je ne savais même pas ce qu’ils étaient devenus… La trace de l’homme était partout autour de moi, il avait façonné le monde pour lui. Mais j’imaginais qu’une vie intelligente reprenne le dessus sur Terre et se pose des questions sur ce que nous avions bâti. Ca serait au même titre que les statues de l’île de Pâques un mystère insondable. Pourquoi et par qui ? Il ne restait de l’homme que des maisons de béton armé, plusieurs tonnes de bouteilles en plastique, quelques produits artisanaux, des horreurs comme le papier tue-mouches ou les DVD de la petite maison dans la prairie et… moi. J’étais la seule preuve que l’homme avait existé. Est-ce que ça valait vraiment la peine de vivre toute seule à présent ?
A quoi allait ressembler ma vie ? Ma vie sans personne. Ma vie avec un furet débile…
Dans quelques temps j’allais oublier tout simplement comment parler. Les seuls sauveurs de ma langue natale seraient des livres et des films à qui je n’aurai pas à répondre. Je me doutais bien depuis un moment que cette vie allait faire de moi une folle aux dents jaunes qui se mettrait des plumeaux à poussière dans les cheveux, porterait des sacs poubelles en guise de robe et accuserait violement les cabines téléphonique d’être des envoyés extraterrestres. Mais je n’allais pas simplement devenir folle. J’allais devenir stupide. Il n’y avait plus personne pour me dire si j’avais raison ou tort, plus personne pour avoir ce genre de discussions qui vous poussent à raisonner un minimum…
Je n’avais jamais été quelqu’un de doué pour les relations sociales, mais de là à ne plus en avoir du tout… Est-ce que l’être humain peut vivre seul ? Je n’avais que peu de notion de psychologie, mais il me semblait que c’était aussi en partie la société qui rendait l’homme Homme.
J’aurai tué pour entendre une voix me dire un simple bonjour. Mais le pire c’est que tout à la fois j’aurai détesté ça aussi. Je répugnais à imaginer un inconnu entrer dans ma vie de cette façon. Dans les films quand il y a deux survivants bizarrement ce sont toujours les deux canons de l’histoire. Je ne me fais pas d’illusion, j’imagine bien sur quoi je pourrai tomber, quelqu’un avec qui ne je me serais jamais entendu dans d’autres circonstances, un fan de tunning ou un adolescent éternellement habillé en survêtement de sport. Je ne doute pas être capable d’apprendre à aimer cette personne. Mais quelle horreur d’avoir à le faire.
J’avais une solution : je pouvais me tuer maintenant. Attraper l’arme à ma taille, me coller le canon sur la tempe et presser la détente…
Non, pas au pistolet, si je me ratais j’aurai juste une moitié de la tête en moins et imaginons que je survive, à tous les coups je tomberai sur cette partie du cerveau qui commande une moitié de mon corps, ou encore mieux : celle qui régule la mémoire et là j’aurai un œil en moins et en plus je ne saurai même plus comment ouvrir une porte… Je ne voulais pas me pendre non plus, si mes cervicales tenaient le coup je mourrai étouffée et cela me semblait assez lent et horrible… Je pouvais bien mettre la tête dans les toilettes et inspirer profondément pour remplir d’eau mes poumons mais l’eau ici est trop calcaire et je hais ce goût… Me trancher les veines ça serait vraiment sale, du sang partout, j’imaginais mon corps pourrissant et attirant tous les charognards… L’électrocution c’est bon, j’avais déjà donné… Cachets, overdose, quelle originalité ! Cette mode là battait son plein avant la fin du monde, là ça faisait dépassé…
Je devais me rendre à l’évidence que le suicide n’était pas pour moi.
Alors j’eu une autre idée qui changea ma vie à jamais. J’allais m’inventer un ami imaginaire !
Au départ je me doutais que l’exercice ne serait pas facile, qu’il faudrait du temps pour me convaincre que je parle vraiment à quelqu’un qui existerait. Mais puisque tout cela prendrait des années avant d’être vraiment utile, autant m’y mettre dès à présent. Je fermais les yeux et commençais à dessiner une personne en face de moi.
En réalité j’estimais qu’il était préférable que mon ami imaginaire soit une amie imaginaire. Un jour je serai folle et ce jour là quand je verrai vraiment cet être, je préférais m’assurer que je n’en tomberai pas amoureuse puisqu’il allait être le seul homme sur Terre avec moi. En créant une fille je prenais le risque de devenir lesbienne avec le vide mais pour garder quand même une chance de ne tomber amoureuse de personne c’était encore la meilleure solution… Je baptisais ma création Karine, avec un K. J’aimais la sonorité de ce prénom tout simplement mais je connaissais une Carine avec un C qui avait été avec moi en primaire et qui m’avait volé tous mes pogs en trichant effrontément pendant que les autres regardaient ailleurs. La vie heureusement vous venge toujours de ces personnes qui vous traumatisent alors que vous sucez encore votre pouce et n’avez pas le droit encore de vous coucher après vingt et une heures. Plus tard au lycée la dite Carine avait eu assez d’acné pour ressembler à une calculatrice scientifique, et surtout, aujourd’hui elle était morte et moi non.
Ma Karine au contraire avait une peau parfaite, imaginez le drame si elle devait occuper la salle de bain le matin pour se faire sauter les points noirs ! Je n’appréciais pas tellement les filles aux cheveux courts et j’avais moi-même les cheveux longs et ne voulais pas faire d’elle un clone, elle se vit donc dotée d’une coupe de cheveux sympathique qui était un compromit entre les deux. Je la rendis brune avec des reflets ocre au soleil. Elle avait un petit front légèrement bombé où tombaient, en une fausse frange, quelques mèches de cheveux rebelles. Des sourcils bien dessinés surmontaient de grands yeux verts et à gauche, à côté de la pupille, sur le blanc de l’œil elle possédait une petite tâche rouge comme si un petit vaisseau sanguin avait explosé. J’avais vu ça chez quelques personnes auparavant, c’était étrange mais je trouvais que ça donnait du charme à quelqu’un ce petit défaut saugrenu… En dessous de ses yeux, sur ses pommettes, sa peau était parsemée de tâches de rousseur. Celles-ci traversaient aussi son nez, fin et légèrement retroussé sur le bout. Elle n’avait pas de problème de lèvres comme la lèvre supérieure qui recouvre la lèvre inférieur et vous donne une tête de poisson. Non, ses lèvres, ni trop fines, ni trop pulpeuses pour ne pas ressembler à une actrice porno avec surconsommation de collagène, dessinaient une petite bouche en cœur naturellement ouverte sur un début de sourire qui laissait apparaître furtivement la pointe de ses dents. Sans pour autant être à elle seule un spot publicitaire pour dentifrice, je lui offrais une mâchoire détartrée et surveillée régulièrement par le dentiste. Une bonne dentition c’était important, je croyais me souvenir que c’était en regardant les dents qu’on décidait ou non d’acheter un cheval… Enfin pour finir avec la tête, Un visage fin, qui gardait un léger quelque chose enfantin.
Son corps reçu des proportions plus que convenables. Heureusement qu’elle n’était qu’imaginaire, car je ne vous raconte pas les complexes qu’une fille pareille m’aurait refilés ! J’étais particulièrement fière de ce que mon cerveau avait engendré, même si mon « bambin » risquait de faire carrière chez Playboy… Je l’habillais un peu plus décontractée pour compenser.
J’avais cru que cet exercice de création serait plutôt évidant, mais il n’en était rien. Je suais à grosses gouttes sous le coup de l’effort mental que cela nécessitait.
Je me rendais compte que jamais je ne m’étais représenté quelqu’un dans son ensemble, ou plutôt justement, uniquement dans son ensemble. Des personnages que j’avais inventé dans mes rêves et dont je me souvenais le lendemain au réveil, je me faisais une représentation assez juste, mais lorsqu’il fallait se rappeler de détails, de la couleur de leur yeux, de ce à quoi pouvait ressembler leurs chaussures, de la forme que prenait leur bouche lorsqu’ils souriaient, il subsistait uniquement une sorte de flou artistique.
Le plus triste c’est que cela ne concernait pas seulement les personnes que j’avais inventé de toute pièce, alors que j’avais tâché un peu plus tôt de visualiser mes proches lorsque je repensais à eux, j’effectuais un travail aussi bâclé. Quelle était la couleur exacte des cheveux de ma mère avant qu’ils deviennent gris et qu’elle les teinte en auburn ? Est-ce qu’ils avaient tendance à friser s’ils séchaient naturellement ?
J’avais l’impression de manquer de respect à tous ceux qui avaient partagé leur vie avec moi, alors je mis un soin tout particulier à créer Karine. Je me concentrais le temps qu’il fallait sur chaque partie d’elle. Je fis une véritable retraite dans ma tête, à ne plus penser qu’à cet être nouveau à qui je donnais vie. Le temps passa sans que j’en ai conscience, seule la faim, les besoins primaires, ou les morsures du furet sur mes doigts me sortaient de ma transe. Parfois il faisait jours et parfois il faisait nuit, mais j’étais incapable de mesurer le temps qui s’était écoulé entre chaque.
Le corps humain était d’une complexité incroyable, il semblait malgré tout découler d’une logique harmonieuse, sans avoir la moindre notion d’anatomie autre que la connaissance de mon propre corps ou de ceux que j’avais vus nus contre le mien, il se dessina intuitivement. Il s’avéra qu’un coude déplacé de quelques centimètres gâchait tout le tableau, ce n’est qu’une fois placé correctement que je réussissais à poursuivre.
Derrière mes paupières toujours closes, chaque élément trouva sa place, l’un après l’autre et un jour je fus capable de la voir distinctement. Sur le fond noir que lui octroyait mes yeux fermés je vis véritablement Karine et parce que je pouvais détailler tout ce qui faisait qu’elle était elle, c’était comme si elle était véritablement en face de moi.
Quand j’ouvrais les yeux tout disparaissait, parce que j’avais d’autres détails sous les yeux, tout le bazar à l’intérieur de la chambre, en particulier les détails d’un furet dormant au milieu d’un paquet de gâteau et le détail de toutes les miettes tombées sur la moquette.
Je refermais donc les yeux, mais c’était comme si j’avais une personne dans le coma en face de moi, Karine ne bougeait pas d’un pouce, elle n’était animée d’aucun souffle de vie. Elle avait l’air drôlement paisible, mais pas franchement causante.
Il était temps de lui donner la vie définitivement.
Je voulais savoir la date pour fêter son anniversaire plus tard mais j’avais perdu un peu le compte ces temps-ci. Le furet n’étant pas d’une grande aide dans ces cas là… Il fut convenu que Karine n’aimerait pas les anniversaires ! Cela fut malheureusement le seul trais de caractère que je pensais à lui donner avant de la réveiller.
J’observais une dernière fois la silhouette immobile. Au-delà de son apparence de véritable mannequin, il y avait un petit quelque chose qui faisait années soixante-dix chez elle et qui me la rendis tout de suite sympathique. Je souris tandis qu’elle ouvrait les yeux. La chose était vraiment difficile, il fallait à la fois beaucoup de concentration afin de continuer à la voir dans un ensemble détaillé, et à la fois beaucoup de laisser aller inconscient afin de ne pas la rendre trop prévisible. J’exagérais peut-être la chose malgré moi, je me crispais comme si cela aidait : mon cou rentré dans mes épaules une grimace sur mon visage comme si j’étais constipée. Réciproquement maintenant, elle m’observait elle aussi.
L’inconvénient d’un ami qu’on s’imagine, c’est qu’il ne fait que ce que vous imaginez. Il va tourner les yeux vers la droite parce que vous imaginez qu’il tourne les yeux vers la droite, en fait, il va être une deuxième vous, incapable de faire quoi que ce soit qui soit absent de votre propre esprit. Cela n’allait pas être une partie de plaisir avant que Karine commence à devenir intéressante. J’allais devoir attendre un bon moment avant d’être capable de placer en elle tout l’inconscient qui sommeille en moi, seule partie susceptible de reprendre quelque peu mon esprit.
Je pris une grande inspiration et m’adressais à elle :
« - Bonjour Karine, je suis Romane. L’humanité a disparu de la surface de la Terre et je suis la dernière survivante.
Je la vis froncer les sourcils et j’étais soulagée parce que cela venait naturellement et que c’était légèrement plus évidant que ce à quoi je m’attendais.
- Je viens de te créer pour…
Sa bouche s’ouvrit lentement et elle se mit soudain à hurler comme si elle ne s’en rendait pas compte :
- ESPECE DE CRETINE ! COMMENT TU VEUX QUE JE COMPRENNE CE QUE TU ME RACONTES JE SUIS COMPLETEMENT SOURDE TU NE M’AS PAS FAIT D’OREILLES ! »
Je n’étais pas installée sur une chaise, mais bien que déjà assise sur le sol je tombais à la renverse sous la surprise. J’ouvris les yeux, perdis le fil. Elle avait disparue et non loin de l’endroit où elle se tenait quelques instants plus tôt, le furet me regardait fixement. Cela me mettait d’autant plus mal à l’aise et me donna d’autant plus l’impression d’être jugée que le furet était passablement myope et ne devait même pas me voir… Je m’empressais de clore à nouveau mes paupières. Elle apparut instantanément devant moi. Elle se tenait là, les mains sur les hanches, une expression d’attente sur le visage. Elle haussa les sourcils et poussa un gros soupir d’exaspération.
Mon imagination était vraiment balaise.
Je déglutis péniblement et m’empressais de lui imaginer deux oreilles. J’y ajoutais un petit bijou discret pour me faire pardonner.
« - Ouais… C’est quand même mieux… Bon tu disais ?
- Euh… Bah salut… Je m’appelle Romane. L’humanité a disparue et je suis la dernière survivante de l’espèce…
- Disparue ? Comment ça disparue ?
Je fus prise de court et ne trouvait pas mieux à répondre que :
- Bah… c'est-à-dire que je ne connais pas de synonyme pour disparaître alors…
- Il n’y a plus personne ?
- Bah y’a moi quoi…
- Et le furet ?
- Bah y’a moi, y’a Gitz, y’a aussi des chiens, des chats, des hamsters et des moustiques mais bon ça compte pas vraiment quand on parle de l’humanité…
- Il n’y a plus un seul autre humain sur Terre ?
- Non.
- Tu es sûre ? Et les australiens ?
- Les Australiens ?
- Oui j’aime bien leur accent… Tu as vérifié qu’il n’y avait plus personne en Australie ?
- Bah… Nan… Je suis une bille en anglais de toute manière alors l’accent australien…
- Mais comment tu peux être sûre que tu es la dernière humaine ?
- C’était prévu qu’on meurt tous alors qu’il y ait déjà une survivante est déjà énorme non ?
- Mais tu as vérifié quand même un minimum, n’est ce pas ?
- Bah ouais…
- Où ça ?
- Euh… Dans le centre ville ?
- Mais t’es tordue ou quoi ! Faut que tu saches s’il y a eu d’autres survivants avant d’inventer des filles qui n’ont pas d’oreilles ! C’est tout à fait précipité ça ! Faut aller chercher un portable, l’avoir toujours sur soit et inscrire à la bombe sur les murs de la ville qu’on peut joindre quelqu’un de vivant à ce numéro ! Il faut que tu ailles sur internet et que tu rendes visible sur la toile que quelqu’un en France vit encore ! Tu aurais du essayer de trouver les gens qui ont fait la prédiction de la fin du monde, découvrir ce qu’ils en disaient, comprendre ce qu’il s’est passé. Et puis il faut que tu découvres pourquoi TOI tu n’es pas morte contrairement aux autres, tu es peut-être destinée à de grande chose ! »
Pour calmer le jeu et le flot de paroles dont Karine m’inondait à mon plus grand étonnement, j’exécutais une technique ancestrale remise au goût du jour, afin de ne plus rien entendre. C'est-à-dire que j’ouvris les yeux, mis les mains dans mes oreilles et criais le thème des Schtroumpfs :
« Lalalalalalaaaaa lalalalalaaaaaaa »
Après deux ou trois répétitions je fermais discrètement un œil pour voir où en était Karine. Elle ne disait plus rien, les bras posés sur la poitrine, elle attendait visiblement que la conversation reprenne. Je fermais les yeux.
« - N’empêche que je n’ai pas tort. Il faut que tu découvres vraiment s’il n’y a pas d’autre survivant et tu ne peux nier que tu as un destin exceptionnel…
- Et si je trouve un survivant ça m’avancera à quoi ? Ce sera quoi mon destin hein ? Il faudra qu’on repeuple la planète ? Merci bien mais je n’ai pas envie de passer ma vie en cloque pour pondre une population d’abrutis consanguins ! Imaginons en plus que l’autre survivant soit un homme de cinquante ballets, gros et poilu et qui sente la carotte ! Non mais sérieusement ! Imaginons que je doive passer ma vie avec un type comme ça qui s’appellerait Prosper ! Je n’ai pas envie que n’importe qui me colle aux basques. Je le vois d’ici le coup des deux survivants qui doivent se tenir les coudes… Ah non, non non non ! Je ne m’accouple pas avec n’importe qui moi ! Enfin… ce n’est pas quelque chose qui se reproduira en tout cas !
- Ca pourrait très bien être une fille…
- Bah alors ça n’a aucun intérêt… On va faire quoi ? Parler sac à main et déodorant anti traces blanches ?
- Sympa… Et moi qu’est ce que je fous là alors ? »
Je me trouvais il est vrai un peu stupide… Je fis appel à ma mémoire pour retrouver les techniques qui m’avaient permis autrefois de me débarrasser de mon frère leur de nos grandes disputes. Je n’eu pas le temps de peaufiner ce qui remontait à mon cerveau et lançait sévèrement :
« De toutes façons tu as été adoptée ! »
Il y a des moments dans la vie où on peut se sentir seule, très seule. Ce fut l’un de ces moments.
Karine souleva un sourcil mais ne releva pas. Cela permit au moins que je lance un nouveau sujet de discussion :
« - Waouh la classe je n’ai jamais réussis à le faire ce truc ! Il y a toujours les deux qui se lèvent !
- Alors j’ai vraiment été créée pour ça hein… Servir de passe-temps à une débile… »
Je fus piquée au vif. Après tout c’était bien naturel ! Que je sois folle passe encore mais elle m’avait traitée de débile alors qu’elle existait tout simplement pour que je ne le devienne pas ! L’avantage c’est que je ne risquais vraiment pas de devenir lesbienne avec une fille pareille ! Les reflexes de lutte fraternelle reprirent en main le reste de la conversation :
« Qui est la plus débile des deux ? La débile ou la créature qui est née du cerveau débile ? Ca fait des jours que je me démène pour mettre en place ma nouvelle vie. J’arrête pendant quelques instants pour créer un être imaginaire et comment il me remercie ? En critiquant ma façon d’avoir mené les choses ! Non mais tu as raison, si j’avais su je me serai pas emmerdé à te créer ! Le furet ne causait pas mais lui au moins il n’était pas une fille pourrie gâtée qui veut tout contrôler ! »
Sous mes yeux Karine devînt toute rouge et déglutie péniblement après une grande expiration. Ses sourcils, que je trouvais très expressifs, se baissèrent spontanément et sa bouche se pinça. Elle se retourna violemment et s’en alla dans l’espace noir dans lequel je la faisais évoluer jusqu’ici faute de ne pouvoir me concentrer pour y mettre en papier peint ce que mes yeux voyaient lorsqu’ils étaient ouverts.
Peut-être que j’y avais été un peu fort… Je l’appelais à plusieurs reprises, m’excusais en criant pour qu’elle m’entende mais elle ne réapparut pas. A force de rester là les yeux clos je finis par trouver le temps long et les rouvrit sur Gitz qui vint contre moi quémander une caresse. L’infortuné animal voulu se caler sous la main que je tendais dans cette perspective, mais il visa bien entendu à côté et tomba de mes genoux sur lesquels il venait pourtant de grimper. Je souris malgré moi, alors que le moral n’y était pourtant pas.
« - Bon Gitz, on ne va pas se laisser abattre hein… C’est peut-être mieux après tout d’être seule… »
Je n’en pensais pas un mot, j’étais en train au contraire de me maudire intérieurement de ne pas avoir tenu ma langue. Ma création imaginaire s’était révélée caractérielle et donneuse de leçon mais est ce que ce n’était pas ce dont j’avais besoin ? Je sentis les larmes me monter aux yeux, mais je faisais partie de ces personnes dont la dignité est primordiale et qui ne conçoit de pleurer devant un furet que si celui-ci avait uriné sur la bande dessinée dédicacée de son auteur préféré le jour de la mort de son père, au moment exact où elle se serait enfoncée une écharde sous l’ongle du petit doigt de la main gauche. Je me contentais donc de renifler bruyamment et de déclarer qu’il était l’heure de l’entrainement au tir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire