C’est un accès de toux roque qui me réveilla. Je mis quelques secondes avant de comprendre qu’il venait de ma propre poitrine. J’avais une envie monstrueuse de restituer le contenu de mon estomac et l’impression sournoise qu’un imbécile de farfadet avait élu domicile dans ma tête avec la ferme intention de refaire à sa sauce les plans du bâtiment. Ainsi il en était à l’étape où il abattait les murs à grands coups massue. Je me fis la réflexion que la fin du monde avait une fâcheuse tendance à impliquer des massues et dans cette utilisation précise cela me dérangeait au plus haut point.
J’étais toujours dans le tambour de la machine, toute recroquevillée comme j’avais réussi à y entrer. Le fait donc que mon genou gauche me chatouillait l’oreille n’était pas pour freiner l’humeur maussade que je sentais poindre en moi.
Je me rendis compte que je tanguais. J’ignorais toutefois s’il s’agissait d’une trop forte gueule de bois, ou si c’était le tambour qui tournait encore légèrement sur son axe…
D’autres questions venaient sans attendre leur tour. Est-ce que j’étais morte ? Pourquoi avais-je tous les membres si engourdis ? Pourquoi avais-je tellement envie de crème au chocolat… ou à la vanille…
Je me doutais que ma tentative d’électrocution n’avait pas fonctionné jusqu’au décès mais suffisamment pour m’assommer. C’était tout aussi bien. Je me promis de ne plus jamais retenter l’électrocution si jamais j’en avais encore le temps. C’était tout sauf amusant, il n’y avait eu que la préparation qui avait été à peu près plaisante… Je me convaincs que la meilleure chose à faire à ce moment précis était encore de sortir de la machine, surtout que plus les secondes défilaient plus un sentiment de malaise s’infiltrait en moi sans que je puisse en déterminer l’origine.
En faufilant ma main pour atteindre le trou, je buttais sur le sèche-cheveux, lamentablement coincé entre ma cuisse et la vitre. Je l’attrapais pour observer que le bouton était encore en position marche. Puisque je n’étais pas noyée, donc que la machine n’avait pas été jusqu’à l’étape essorage, j’en déduisis que j’avais simplement fait sauté le courant. Je passais enfin ma main dans l’ouverture et ouvris la porte de ma prison.
Quelque chose n’allait vraiment pas. J’aurais aimé pouvoir comprendre de quoi il était question mais il était encore trop tôt pour que toutes mes pensées arrivent à se faire un chemin de synapses tenant la route et créer une idée cohérente. En contre partie cependant je me rendis compte que je ne portais même pas mon tee-shirt des stones, j’avais pitoyablement oublié de l’enfiler avant d’entrer dans le lave-linge tout à l’heure.
Je sortis enfin du tambour. Une sortie peu glorieuse car je m’étalais de tout mon long par terre, la joue écrasée sur le carrelage sale, les yeux fixés sur la pièce d’un euro que je découvrais au milieu de la poussière sous la machine. Je me redressais comme je le pouvais, m’étonnant que mon épaule ne soit pas restée au sol. Je faisais face au mur du fond et regardais sans véritablement le voir le panneau de tarifs. Il y avait vraiment quelque chose qui clochait. Il fallait que je me concentre, que je comprenne quoi, car l’angoisse me remontait le long de l’échine comme si on m’avait passé un glaçon dans le dos.
Alors ce fut brutalement évident et cela me fit un tel choc que je tombais à la renverse et pestais intérieurement pour la douleur qui naissait dans mon postérieur.
Il n’y avait plus un bruit.
Aucune musique affreusement fausse, pas de klaxon pressé dans un rythme improbable, pas de cris hystériques, pas de pleurs, pas de couinements, pas de râles, pas de discussions calmes, pas de sifflements, pas d’insultes, pas d’hurlements désespérés, pas de sanglots étouffés, pas d’appels au secours, pas de grincements de métal des voitures sur lesquelles on saute, pas de battements de semelles sur l’asphalte, pas de coups de feu, pas d’explosions de matériel hifi balancé depuis les fenêtres, pas de crépitements d’incendie, pas de vomissements incontrôlés, pas le moindre souffle excepté le mien qui s’accélérait sensiblement.
Mon buste s’élança dans la volonté de faire un demi tour sur lui-même et manquant de peu de détacher ma colonne vertébrale contre laquelle remontait une fois de plus un frisson de terreur intense. Il n’y avait plus personne dans la rue.
Mais où étaient passés tous ces abrutis ? Je repris appui sur mes jambes et me relevais. Ce qui me parut tout d’abord évident c’est qu’il devait se passer quelque chose d’extraordinaire quelque part, un événement qui réunissait tout le monde et que j’étais en train de manquer.
Je sortis sur le trottoir et hurlais pour savoir s’il y avait quelqu’un. Seul un aboiement de chien me répondit depuis une direction assez floue. Je marchais jusqu’au bout de la rue, jusqu’au carrefour. Personne. Il y avait un peu plus de bruit pourtant : une de ces enceintes géantes hurlait de la musique, mais je pouvais me rendre compte d’ici que la foule habituelle qui dansait toujours devant n’y était pas. Le titre suivant, programmé pour enchaîner sans coupure sonore commença. C’était le générique de Candy et ça plus que tout autre chose fut le déclencheur d’une panique sans nom.
J’essayais de raisonner un minimum pour déterminer une direction où chercher les gens. Il n’y avait en réalité pas tant d’endroits qui pouvaient accueillir une telle foule et le plus astucieux à cette heure se trouvait être le centre commercial. Je m’y rendis d’un pas pressé mais le manque de bruit une fois de plus fut la seule chose qui répondit à mon approche.
Il n’y avait effectivement personne ni devant ni à l’intérieur de l’immense structure. Plus bizarre encore il y avait des cartons éparpillés partout sur le sol, comme si les gens avaient laissé tomber tout ce qu’ils faisaient avant de partir. Cela paraissait insensé, pour ces gens avoir quelque chose dans les mains et le garder le plus longtemps possible était revenu à tenir un totem religieux. C’était leur dernière barrière contre le monde, leur protection, la dernière croyance athée. « Je ne crois en rien mais je crois en cette machine à expresso que je tiens dans les mains. »
Je ne savais pas vers quoi ils avaient déguerpi mais ça devait être quelque chose d’extrêmement rassurant pour se détacher de tout cela.
Quelque soit cette chose elle n’était pas ici. Il n’y avait plus qu’une seule solution : le stade de foot ! C’était tout à fait cohérant, quand tout le monde se met sur la gueule le meilleur moyen de réconcilier les gens étaient encore de les regrouper autour d’une pelouse impeccablement tondue pour suivre le fabuleux destin d’un ballon spécialement cousu par un petit malaisien. Le dit ballon était confié à une poignée d’homme qui, contrôlé par leur pulsion masculine, ne pouvaient s’empêcher de frapper dedans. Toute cette testostérone en ébullition par un mystérieux procédé se répercutait sur tous les voyeurs alentours, même les femmes qui pouvaient donc jouir, pendant une bonne heure et demi, de la capacité d’hurler avec une voix de barytons et, mais cela n’avait jamais été prouvé encore, de l’obtention d’une pilosité aussi développée qu’éphémère.
Je partais donc pour le stade, cette fois à une vitesse bien moins soutenue car je n’avais jamais été très sportive et que la marche accélérée n’était tout simplement plus possible. Je ne croisais pas un chat en chemin. Ou plutôt si, je ne croisais qu’un chat en réalité. Il n’y avait même plus un cadavre couché par terre, pas une seule overdose visible ou victime de chasse à l’homme…
Arrivée dans la rue du stade je commençais à douter de mon ouïe. Ce genre d’événement sportif est toujours l’occasion d’hurler les pires insanités envers l’arbitre ou de rendre sourd son voisin avec une utilisation exagérée de la corne de brume. Aucun bruit ne ressemblait à ça.
Il n’y avait personne une nouvelle fois. Le lieu était désert mais je ne voulais pas l’admettre, je gravis quand même les marches pour atteindre la tribune et tomber sur la vue d’une pelouse fraîchement tondue, mais vide. J’insultais ce vide pendant les prochaines secondes puis réussis enfin à me calmer.
Je ne comprenais absolument plus rien, ou bien si, je commençais doucement à me douter de quelque chose mais l’idée était bien trop alarmante pour que j’accepte de la laisser venir.
Mes yeux se posèrent sur le panneau d’affichage des scores. Un bug devait avoir atteint les circuits électriques car les chiffres défilaient sans contrôle à une vitesse folle. Juste au dessus pourtant quatre d’entre eux restaient bel et bien en place. Ils indiquaient l’heure. Avec lenteur je levais mon poignet pour m’assurer qu’ils n’étaient pas figés par erreur, mais les aiguilles de ma montre donnaient la même indication à quelques minutes près. Il était dix-huit heures quarante sept.
Le monde n’avait pas disparu… Le monde non, mais les hommes… J’attrapais un cadavre de bouteille de bière sur un des sièges et le jetais de toutes mes forces dans le reste des gradins.
« - ET MOI ALORS ?! »
Le vide se vit insulter de plus belle, j’enchaînais ensuite sur ce bon dieu de siège qui venait de me frapper le tibia, sur ces étoiles débiles, sur l’heure, sur mon tee-shirt mouillé qui me collait à la peau, sur la pelouse, sur les cages de but et sur le prix des billets de train. Je stoppais les jurons par obligation, car je n’avais plus de salive. Mais dans mon élan j’arrachais mon portable de ma poche et appelais tous les numéros de mon répertoire. Cette fois il n’y eu pas de tonalité occupée pour me répondre mais une sonnerie banale qui menait finalement sur les répondeurs de tout un chacun.
N’ayant plus rien à portée de main à balancer je me mis à frapper sur les sièges dans un combat acharné qu’ils remportèrent. Parce que ma main me faisait affreusement souffrir et qu’elle commençait à tirer sur le violet, je repris mon souffle et me mis simplement à bouder, assise sur les marches entre deux rangées.
J’étais blasée, à chaque fois qu’il y avait un problème ça tombait sur moi ! Le monde humain avait disparu de la façon la plus mystérieuse qu’il soit et on m’avait oublié ! Voilà, maintenant j’étais, jusqu’à preuve du contraire la seule personne encore présente dans l’univers, mais ce statut ne m’étais accordée qu’à la condition que, quelques minutes auparavant, j’avais été la personne la plus insignifiante du monde, tellement insignifiante que je pouvais bien être encore présente, on s’en fichait !
Un bourdonnement singulier agaça mon oreille. Je battais la main autour de ma tête par réflexe puis plantais mon regard sur l’insecte coupable d’un tel affront. Il s’agissait d’un moustique. Il n’en fallait pas plus pour que j’explose.
« - Quoi ! Nan mais c’est un comble ! Alors la race humaine entière se volatilise comme par magie mais alors ces salauds de moustiques eux on les laisse tranquille ! Qu’est ce qu’ils ont de plus que nous les moustiques hein ? Ces petits machins ailés sont une des pires plaies qui existent mais ils ont le droit de vivre ? C’est fort ça ! Ah je ne sais pas qui s’est occupé de la fin du monde mais ça a été bâclé tout ça ! En plus qu’est ce qu’il fait là en plein mois d’Avril ce moustique ! Ah si ça se trouve c’est eux ! Ce sont les moustiques ! Ils nous ont tous tué ! Mais moi vous ne m’aurez pas, ah ça non, vous ne m’aurez pas ! Allé viens saleté de suceur de sang, viens te battre ! On fera un combat de filles, ongles contre trompe ça te va ? Allé, allé, viens ! »
J’applaudissais à tout rompre sur le passage du moustique, mais il est bien connu que cette méthode ne fonctionne jamais et qu’il ne se retrouva pas une seule fois prit entre mes deux mains. Je finis par le perdre simplement de vue. Je me rassis sur l’escalier pour bouder de plus belle.
« - Nan mais sérieusement… qui que vous soyez, venez me chercher aussi… me laissez pas toute seule… »
Les trente prochaines minutes furent très longues mais elles me permirent de réaliser que personne ne viendrait me chercher et aussi que j’étais dans un stade de foot alors que je détestais cet endroit. Je m’appuyais sur le siège à côté de moi, cachant de ma main l’inscription « nike ta merre » qu’on y avait écrit et me mis debout.
Je dévalais les gradins et sortis du stade, je courus pendant une bonne heure à travers les rues de la ville, les muscles de mes jambes souffrant affreusement de cette course, mais la douleur ne pouvait m’arrêter, il devait bien y avoir quelqu’un d’autre. Je ne pouvais pas être seule !
Tandis que les larmes coulaient sur mes joues sans que je ne m’en rende compte je finis enfin par m’arrêter. Je me tus, moi qui hurlais à plein poumon jusque là. J’avais du mal à respirer. J’avais du mal à penser. Je m’affalais à même le sol, indifférente aux petits morceaux de verres, reste de bouteilles d’alcool, qui me rentraient dans la peau.
J’étais peut-être morte. C’était peut-être ça la vie après la mort, même si ça ne semblait n’avoir aucun sens… le seul moyen d’être sûr, si j’étais bien un fantôme était d’attendre voir si j’allais vieillir. Ma seule référence en la matière était Casper, mais j’étais presque sûre que les morts ne vieillissaient pas.
Je ne savais rien. Des années que l’on faisait tout un battage d’information sur la mort, des années que j’y prêtais une oreille discrète, mais une oreille tout de même, mais je n’étais même pas capable de savoir si la grande faucheuse avait eu ma peau…
Vivante ou morte j’étais seule. Cela valait peut-être mieux, je n’aimais pas l’idée de devoir partager ma vie avec une personne uniquement sous le prétexte d’être les derniers survivants. Je voulais croire que je décidais moi-même qui je pouvais apprécier, mais je me doutais que s’il n’y avait plus qu’une autre personne sur Terre avec moi, je finirai par m’y attacher par dépit, par obligation en vue des circonstances…
Je voulais penser à autre chose. Je voulais même arrêter de penser. J’eu faim.
Le super marché était un vrai capharnaüm. Le chant du cygne de l’humanité avait été un grand élan de destruction. Pour avoir été à la place de toutes ces personnes se croyant à la fin de leur vie, je savais ce qu’il avait pu leur passer par la tête. On pouvait tout saccager, de toutes manières il n’y aurait plus personne pour en profiter après… Ils avaient fait la chose très bien cela dit. La plus part des rayons étaient au sol. Il y avait de la nourriture étalée par terre dans tous les recoins. J’eu du mal à retrouver au milieu de cette pagaille le rayon des laitages, j’ignore comment mais il s’était retrouvé à côté de celui de la lessive, à moins que toute cette poudre blanche ne soit pas de la lessive mais du sucre glace… J’hésitais à aller chercher une crème au chocolat, l’allée était une marre de fromage blanc et j’aimais suffisamment mes chaussures pour ne pas les sacrifier en passant au travers. Je fis un détour spectaculaire en passant par-dessus les rayons. Le fait d’être seule avait cela de bon qu’aucun vigil aux allures de gorille élevé aux OGM ne venait me faire la morale comme quoi on ne grimpait pas dessus. J’obtins enfin ma crème au chocolat que je dégustais comme je le pouvais puisque je n’avais pas pensé à apporter de cuillère.
J’ignorais si c’était en réaction au fait de me nourrir ou non, mais je me rendis compte que l’effet des drogues entamait une baisse caractéristique. J’étais en pleine descente et cela ne me mettait pas dans les meilleures dispositions possibles. Plus particulièrement le manque de sommeil fit une apparition fulgurante. Dormir fut la seule volonté qu’il me restait. J’aurais pu dormir là au milieu du fromage blanc mais je m’octroyais une dernière dose de courage pour trouver le rayon « maison et jardin » et m’assoupir dans la seule chaise longue que je trouvais sans pied manquant. Le sommeil ne se fit pas prier et s’empara de moi dans la seconde.
J’étais toujours dans le tambour de la machine, toute recroquevillée comme j’avais réussi à y entrer. Le fait donc que mon genou gauche me chatouillait l’oreille n’était pas pour freiner l’humeur maussade que je sentais poindre en moi.
Je me rendis compte que je tanguais. J’ignorais toutefois s’il s’agissait d’une trop forte gueule de bois, ou si c’était le tambour qui tournait encore légèrement sur son axe…
D’autres questions venaient sans attendre leur tour. Est-ce que j’étais morte ? Pourquoi avais-je tous les membres si engourdis ? Pourquoi avais-je tellement envie de crème au chocolat… ou à la vanille…
Je me doutais que ma tentative d’électrocution n’avait pas fonctionné jusqu’au décès mais suffisamment pour m’assommer. C’était tout aussi bien. Je me promis de ne plus jamais retenter l’électrocution si jamais j’en avais encore le temps. C’était tout sauf amusant, il n’y avait eu que la préparation qui avait été à peu près plaisante… Je me convaincs que la meilleure chose à faire à ce moment précis était encore de sortir de la machine, surtout que plus les secondes défilaient plus un sentiment de malaise s’infiltrait en moi sans que je puisse en déterminer l’origine.
En faufilant ma main pour atteindre le trou, je buttais sur le sèche-cheveux, lamentablement coincé entre ma cuisse et la vitre. Je l’attrapais pour observer que le bouton était encore en position marche. Puisque je n’étais pas noyée, donc que la machine n’avait pas été jusqu’à l’étape essorage, j’en déduisis que j’avais simplement fait sauté le courant. Je passais enfin ma main dans l’ouverture et ouvris la porte de ma prison.
Quelque chose n’allait vraiment pas. J’aurais aimé pouvoir comprendre de quoi il était question mais il était encore trop tôt pour que toutes mes pensées arrivent à se faire un chemin de synapses tenant la route et créer une idée cohérente. En contre partie cependant je me rendis compte que je ne portais même pas mon tee-shirt des stones, j’avais pitoyablement oublié de l’enfiler avant d’entrer dans le lave-linge tout à l’heure.
Je sortis enfin du tambour. Une sortie peu glorieuse car je m’étalais de tout mon long par terre, la joue écrasée sur le carrelage sale, les yeux fixés sur la pièce d’un euro que je découvrais au milieu de la poussière sous la machine. Je me redressais comme je le pouvais, m’étonnant que mon épaule ne soit pas restée au sol. Je faisais face au mur du fond et regardais sans véritablement le voir le panneau de tarifs. Il y avait vraiment quelque chose qui clochait. Il fallait que je me concentre, que je comprenne quoi, car l’angoisse me remontait le long de l’échine comme si on m’avait passé un glaçon dans le dos.
Alors ce fut brutalement évident et cela me fit un tel choc que je tombais à la renverse et pestais intérieurement pour la douleur qui naissait dans mon postérieur.
Il n’y avait plus un bruit.
Aucune musique affreusement fausse, pas de klaxon pressé dans un rythme improbable, pas de cris hystériques, pas de pleurs, pas de couinements, pas de râles, pas de discussions calmes, pas de sifflements, pas d’insultes, pas d’hurlements désespérés, pas de sanglots étouffés, pas d’appels au secours, pas de grincements de métal des voitures sur lesquelles on saute, pas de battements de semelles sur l’asphalte, pas de coups de feu, pas d’explosions de matériel hifi balancé depuis les fenêtres, pas de crépitements d’incendie, pas de vomissements incontrôlés, pas le moindre souffle excepté le mien qui s’accélérait sensiblement.
Mon buste s’élança dans la volonté de faire un demi tour sur lui-même et manquant de peu de détacher ma colonne vertébrale contre laquelle remontait une fois de plus un frisson de terreur intense. Il n’y avait plus personne dans la rue.
Mais où étaient passés tous ces abrutis ? Je repris appui sur mes jambes et me relevais. Ce qui me parut tout d’abord évident c’est qu’il devait se passer quelque chose d’extraordinaire quelque part, un événement qui réunissait tout le monde et que j’étais en train de manquer.
Je sortis sur le trottoir et hurlais pour savoir s’il y avait quelqu’un. Seul un aboiement de chien me répondit depuis une direction assez floue. Je marchais jusqu’au bout de la rue, jusqu’au carrefour. Personne. Il y avait un peu plus de bruit pourtant : une de ces enceintes géantes hurlait de la musique, mais je pouvais me rendre compte d’ici que la foule habituelle qui dansait toujours devant n’y était pas. Le titre suivant, programmé pour enchaîner sans coupure sonore commença. C’était le générique de Candy et ça plus que tout autre chose fut le déclencheur d’une panique sans nom.
J’essayais de raisonner un minimum pour déterminer une direction où chercher les gens. Il n’y avait en réalité pas tant d’endroits qui pouvaient accueillir une telle foule et le plus astucieux à cette heure se trouvait être le centre commercial. Je m’y rendis d’un pas pressé mais le manque de bruit une fois de plus fut la seule chose qui répondit à mon approche.
Il n’y avait effectivement personne ni devant ni à l’intérieur de l’immense structure. Plus bizarre encore il y avait des cartons éparpillés partout sur le sol, comme si les gens avaient laissé tomber tout ce qu’ils faisaient avant de partir. Cela paraissait insensé, pour ces gens avoir quelque chose dans les mains et le garder le plus longtemps possible était revenu à tenir un totem religieux. C’était leur dernière barrière contre le monde, leur protection, la dernière croyance athée. « Je ne crois en rien mais je crois en cette machine à expresso que je tiens dans les mains. »
Je ne savais pas vers quoi ils avaient déguerpi mais ça devait être quelque chose d’extrêmement rassurant pour se détacher de tout cela.
Quelque soit cette chose elle n’était pas ici. Il n’y avait plus qu’une seule solution : le stade de foot ! C’était tout à fait cohérant, quand tout le monde se met sur la gueule le meilleur moyen de réconcilier les gens étaient encore de les regrouper autour d’une pelouse impeccablement tondue pour suivre le fabuleux destin d’un ballon spécialement cousu par un petit malaisien. Le dit ballon était confié à une poignée d’homme qui, contrôlé par leur pulsion masculine, ne pouvaient s’empêcher de frapper dedans. Toute cette testostérone en ébullition par un mystérieux procédé se répercutait sur tous les voyeurs alentours, même les femmes qui pouvaient donc jouir, pendant une bonne heure et demi, de la capacité d’hurler avec une voix de barytons et, mais cela n’avait jamais été prouvé encore, de l’obtention d’une pilosité aussi développée qu’éphémère.
Je partais donc pour le stade, cette fois à une vitesse bien moins soutenue car je n’avais jamais été très sportive et que la marche accélérée n’était tout simplement plus possible. Je ne croisais pas un chat en chemin. Ou plutôt si, je ne croisais qu’un chat en réalité. Il n’y avait même plus un cadavre couché par terre, pas une seule overdose visible ou victime de chasse à l’homme…
Arrivée dans la rue du stade je commençais à douter de mon ouïe. Ce genre d’événement sportif est toujours l’occasion d’hurler les pires insanités envers l’arbitre ou de rendre sourd son voisin avec une utilisation exagérée de la corne de brume. Aucun bruit ne ressemblait à ça.
Il n’y avait personne une nouvelle fois. Le lieu était désert mais je ne voulais pas l’admettre, je gravis quand même les marches pour atteindre la tribune et tomber sur la vue d’une pelouse fraîchement tondue, mais vide. J’insultais ce vide pendant les prochaines secondes puis réussis enfin à me calmer.
Je ne comprenais absolument plus rien, ou bien si, je commençais doucement à me douter de quelque chose mais l’idée était bien trop alarmante pour que j’accepte de la laisser venir.
Mes yeux se posèrent sur le panneau d’affichage des scores. Un bug devait avoir atteint les circuits électriques car les chiffres défilaient sans contrôle à une vitesse folle. Juste au dessus pourtant quatre d’entre eux restaient bel et bien en place. Ils indiquaient l’heure. Avec lenteur je levais mon poignet pour m’assurer qu’ils n’étaient pas figés par erreur, mais les aiguilles de ma montre donnaient la même indication à quelques minutes près. Il était dix-huit heures quarante sept.
Le monde n’avait pas disparu… Le monde non, mais les hommes… J’attrapais un cadavre de bouteille de bière sur un des sièges et le jetais de toutes mes forces dans le reste des gradins.
« - ET MOI ALORS ?! »
Le vide se vit insulter de plus belle, j’enchaînais ensuite sur ce bon dieu de siège qui venait de me frapper le tibia, sur ces étoiles débiles, sur l’heure, sur mon tee-shirt mouillé qui me collait à la peau, sur la pelouse, sur les cages de but et sur le prix des billets de train. Je stoppais les jurons par obligation, car je n’avais plus de salive. Mais dans mon élan j’arrachais mon portable de ma poche et appelais tous les numéros de mon répertoire. Cette fois il n’y eu pas de tonalité occupée pour me répondre mais une sonnerie banale qui menait finalement sur les répondeurs de tout un chacun.
N’ayant plus rien à portée de main à balancer je me mis à frapper sur les sièges dans un combat acharné qu’ils remportèrent. Parce que ma main me faisait affreusement souffrir et qu’elle commençait à tirer sur le violet, je repris mon souffle et me mis simplement à bouder, assise sur les marches entre deux rangées.
J’étais blasée, à chaque fois qu’il y avait un problème ça tombait sur moi ! Le monde humain avait disparu de la façon la plus mystérieuse qu’il soit et on m’avait oublié ! Voilà, maintenant j’étais, jusqu’à preuve du contraire la seule personne encore présente dans l’univers, mais ce statut ne m’étais accordée qu’à la condition que, quelques minutes auparavant, j’avais été la personne la plus insignifiante du monde, tellement insignifiante que je pouvais bien être encore présente, on s’en fichait !
Un bourdonnement singulier agaça mon oreille. Je battais la main autour de ma tête par réflexe puis plantais mon regard sur l’insecte coupable d’un tel affront. Il s’agissait d’un moustique. Il n’en fallait pas plus pour que j’explose.
« - Quoi ! Nan mais c’est un comble ! Alors la race humaine entière se volatilise comme par magie mais alors ces salauds de moustiques eux on les laisse tranquille ! Qu’est ce qu’ils ont de plus que nous les moustiques hein ? Ces petits machins ailés sont une des pires plaies qui existent mais ils ont le droit de vivre ? C’est fort ça ! Ah je ne sais pas qui s’est occupé de la fin du monde mais ça a été bâclé tout ça ! En plus qu’est ce qu’il fait là en plein mois d’Avril ce moustique ! Ah si ça se trouve c’est eux ! Ce sont les moustiques ! Ils nous ont tous tué ! Mais moi vous ne m’aurez pas, ah ça non, vous ne m’aurez pas ! Allé viens saleté de suceur de sang, viens te battre ! On fera un combat de filles, ongles contre trompe ça te va ? Allé, allé, viens ! »
J’applaudissais à tout rompre sur le passage du moustique, mais il est bien connu que cette méthode ne fonctionne jamais et qu’il ne se retrouva pas une seule fois prit entre mes deux mains. Je finis par le perdre simplement de vue. Je me rassis sur l’escalier pour bouder de plus belle.
« - Nan mais sérieusement… qui que vous soyez, venez me chercher aussi… me laissez pas toute seule… »
Les trente prochaines minutes furent très longues mais elles me permirent de réaliser que personne ne viendrait me chercher et aussi que j’étais dans un stade de foot alors que je détestais cet endroit. Je m’appuyais sur le siège à côté de moi, cachant de ma main l’inscription « nike ta merre » qu’on y avait écrit et me mis debout.
Je dévalais les gradins et sortis du stade, je courus pendant une bonne heure à travers les rues de la ville, les muscles de mes jambes souffrant affreusement de cette course, mais la douleur ne pouvait m’arrêter, il devait bien y avoir quelqu’un d’autre. Je ne pouvais pas être seule !
Tandis que les larmes coulaient sur mes joues sans que je ne m’en rende compte je finis enfin par m’arrêter. Je me tus, moi qui hurlais à plein poumon jusque là. J’avais du mal à respirer. J’avais du mal à penser. Je m’affalais à même le sol, indifférente aux petits morceaux de verres, reste de bouteilles d’alcool, qui me rentraient dans la peau.
J’étais peut-être morte. C’était peut-être ça la vie après la mort, même si ça ne semblait n’avoir aucun sens… le seul moyen d’être sûr, si j’étais bien un fantôme était d’attendre voir si j’allais vieillir. Ma seule référence en la matière était Casper, mais j’étais presque sûre que les morts ne vieillissaient pas.
Je ne savais rien. Des années que l’on faisait tout un battage d’information sur la mort, des années que j’y prêtais une oreille discrète, mais une oreille tout de même, mais je n’étais même pas capable de savoir si la grande faucheuse avait eu ma peau…
Vivante ou morte j’étais seule. Cela valait peut-être mieux, je n’aimais pas l’idée de devoir partager ma vie avec une personne uniquement sous le prétexte d’être les derniers survivants. Je voulais croire que je décidais moi-même qui je pouvais apprécier, mais je me doutais que s’il n’y avait plus qu’une autre personne sur Terre avec moi, je finirai par m’y attacher par dépit, par obligation en vue des circonstances…
Je voulais penser à autre chose. Je voulais même arrêter de penser. J’eu faim.
Le super marché était un vrai capharnaüm. Le chant du cygne de l’humanité avait été un grand élan de destruction. Pour avoir été à la place de toutes ces personnes se croyant à la fin de leur vie, je savais ce qu’il avait pu leur passer par la tête. On pouvait tout saccager, de toutes manières il n’y aurait plus personne pour en profiter après… Ils avaient fait la chose très bien cela dit. La plus part des rayons étaient au sol. Il y avait de la nourriture étalée par terre dans tous les recoins. J’eu du mal à retrouver au milieu de cette pagaille le rayon des laitages, j’ignore comment mais il s’était retrouvé à côté de celui de la lessive, à moins que toute cette poudre blanche ne soit pas de la lessive mais du sucre glace… J’hésitais à aller chercher une crème au chocolat, l’allée était une marre de fromage blanc et j’aimais suffisamment mes chaussures pour ne pas les sacrifier en passant au travers. Je fis un détour spectaculaire en passant par-dessus les rayons. Le fait d’être seule avait cela de bon qu’aucun vigil aux allures de gorille élevé aux OGM ne venait me faire la morale comme quoi on ne grimpait pas dessus. J’obtins enfin ma crème au chocolat que je dégustais comme je le pouvais puisque je n’avais pas pensé à apporter de cuillère.
J’ignorais si c’était en réaction au fait de me nourrir ou non, mais je me rendis compte que l’effet des drogues entamait une baisse caractéristique. J’étais en pleine descente et cela ne me mettait pas dans les meilleures dispositions possibles. Plus particulièrement le manque de sommeil fit une apparition fulgurante. Dormir fut la seule volonté qu’il me restait. J’aurais pu dormir là au milieu du fromage blanc mais je m’octroyais une dernière dose de courage pour trouver le rayon « maison et jardin » et m’assoupir dans la seule chaise longue que je trouvais sans pied manquant. Le sommeil ne se fit pas prier et s’empara de moi dans la seconde.
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